L'obsession de Jupiter

Du désir mimétique à la mémétique

couverture

Du conformisme à la loi matérielle qui domine l'histoire humaine.


« Tout est moral chez les individus, tout est physique dans les masses. »


Cette citation de Benjamin Constant fait tout de suite penser à Psychologie des foules de Gustave LeBon.

Cependant, c'est à autre chose que cette citation m'invite à penser. Elle m'inspire l'idée que les masses humaines suivent une loi physique, la loi selon laquelle toute structure ne peut aller que dans le sens d'une augmentation de son rendement dissipatif. "Toute structure s'auto-organise pour maximiser le flux d'énergie qu'elle dissipe."

Cette loi se vérifie également pour les sociétés humaines, puisqu'à travers l'histoire, les sociétés qui se sont succédé ont consommé toujours plus d'énergie. Les sociétés sédentaires consommaient plus que les sociétés nomades, les sociétés industrielles consomment plus que les sociétés agricoles traditionnelles, et les sociétés transhumanistes du futur en consommeront probablement plus que nos sociétés actuelles, si l'humanité n'est pas disparue d'ici là. Cela veut dire que l'histoire de l'humanité suit une loi physique, qu'elle poursuit une logique matérielle, comme le pensait Marx.

"Celui qui ne connait pas l'histoire est condamné à la revivre". Il nous faut donc comprendre la logique qui domine l'évolution des sociétés humaines. Et pour comprendre la logique qui domine l'histoire humaine, rien n'est plus intéressant qu'une lecture croisée de la théorie du désir mimétique de René Girard, et de la mémétique de Richard Dawkins.

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L’expérience de Milgram nous donne un indice pour comprendre comment les mentalités évoluent à travers l’histoire. Dans cette expérience, un homme ordinaire, est assis devant une machine, et appuie sur des boutons qui délivrent des chocs électriques de plus en plus violents à un inconnu. À mesure que la douleur augmente, il hésite, se tourne vers une figure d’autorité qui lui ordonne de continuer, et continue, malgré son sentiment d’agir contre ce que lui dit de faire sa conscience. Pourquoi le fait-il ? Non pas par cruauté, mais parce que ce qu’il désire avant tout, c’est de rester intégré, conforme à ce qui est attendu de lui. Désobéir à une autorité collectivement reconnue représente à ses yeux un risque d’exclusion sociale.

Tout est là : ce désir de conformité est le ressort profond de l’histoire des idées. L’expérience de Milgram n’est pas une exception, elle est la clef du fonctionnement des sociétés. Les hommes adoptent des idées, non pas parce qu’ils les croient vraies, mais parce qu’ils les croient être également adoptées par autrui.

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René Girard l’avait dit : « Parler de liberté, c’est évoquer la possibilité qu’a l’homme à résister au mécanisme mimétique ». Nous désirons moins les choses que le désir des autres. C’est ce désir mimétique qui explique la docilité des foules, leur alignement sur les prescriptions des clergés, des bureaucraties, des médias, en un mot, des organes influents dans la société. Dès lors, la propagation mémétique devient intelligible. Les idées ne se diffusent pas parce qu’elles sont vraies ou utiles pour la survie, mais parce qu’elles présentent aux hommes la garantie qu’ils vont pouvoir rester intégrés. Les idées, même lorsqu’elles émanent d’une minorité influente et qu’elles sont néfastes à la majorité, s’imposent quand-même. Le suicide, le cannibalisme, la soumission aveugle à des dogmes absurdes : ces pratiques n’ont jamais procuré d’avantage sélectif. Ce qui a assuré leur propagation et leur hégémonie à certaines époques, c’est la puissance de l'instinct grégaire : l’homme préfère mourir pour des idées qu’il croit chères à autrui, plutôt que d’être exclu du groupe.

Ainsi, l’individu sacrifie sa raison, comme dans l’experience de Milgram, et parfois sa propre survie, simplement pour conserver l’estime d’autrui et sa place dans la société. Et de même, les masses s’alignent sur les valeurs prônées par les institutions dominantes, lesquelles, en raison de leur position désirable dans la société érigée, ont intérêt à ce que l’infrastructure technologique se conserve et perdure. Elles prônent donc toute pratique qui permet à la structure installée de bien fonctionner, de prospérer, soit d’augmenter son rendement. C’est ce mécanisme qui explique pourquoi l’évolution des mentalités suit l’évolution des techniques, pourquoi l’histoire humaine suit une logique matérielle, et à fortiori pourquoi la loi selon laquelle toute structure ne peut évoluer que dans le sens d’une augmentation de son rendement dissipatif concerne également les sociétés humaines. Les sociétés, comme structures dissipatives, sélectionnent les mèmes qui accroissent leur rendement dissipatif.


Les hommes croient choisir librement leurs croyances, mais en réalité ils se conforment aux prescriptions qui garantissent la prospérité de la structure établie. C’est pourquoi tout est physique dans la masse, et pourquoi ce n’est pas le bien ni la vérité qui orientent l’évolution culturelle, mais la nécessité d’absorber et de dissiper toujours davantage d’énergie.




EXTRAIT - Chapitre 20 | Le désir d'Amaranta

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